Déposée en 2016, l’initiative «pour des multinationales responsables» aura mis quatre ans à être finalement soumise à votation. Le temps, pour le comité d’initiative, d’organiser une campagne intense, mobilisant d’importants moyens financiers et militants. Au vu de l’énergie investie, l’échec n’en est que plus amer et nous invite à une réflexion de fond sur les rapports entre les institutions et les mouvements sociaux, face aux enjeux historiques auxquels nous faisons face.
«Au lieu de vous plaindre, pourquoi vous ne faites pas une initiative populaire ?». Toute personne active dans les mouvements sociaux en Suisse connaît bien cette injonction répétée à faire de la «vraie» politique, comme si notre travail ne devenait sérieux qu’à partir du moment où nous choisissons d’honorer inconditionnellement les outils de la démocratie helvétique. La première chose à rétorquer est qu’un texte d’initiative ne saurait apporter de réponse satisfaisante aux problèmes structurels – productivisme, capitalisme, racisme, patriarcat, etc. – auxquels s’attaquent nos mouvements. L’outil d’initiative ne donne lieu qu’à de laborieuses tentatives d’aménager le système existant.
Une fois raboté pour rentrer dans le cadre étroit des institutions, le texte devra bien vite affronter la propagande de masse d’EconomieSuisse et des grandes instances économiques et financières, au budget pratiquement illimité. «L’intention est bonne, mais… !» «Les entreprises vont fuir la Suisse !» «Le chômage va augmenter !». Ces messages basés sur la peur, matraqués pendant des mois, suffisent presque toujours à disqualifier les rares initiatives progressistes qui semblent, de prime abord, passer la rampe.
Si les puissants nous invitent à abandonner grèves et manifestations au profit du jeu institutionnel, c’est au moins en partie parce qu’ils savent que toute tentative de transformation sociale par ce biais est purement et simplement vouée à l’échec. L’histoire nous le montre : les grandes avancées sociales – droits des femmes, des travailleurs·euses, des minorités, etc. – ont toujours eu lieu suite à des mobilisations de masse, souvent considérées comme illégales et nuisibles par les classes dirigeantes, au moment où elles se produisent.
La lutte pour le climat ne fait bien sûr pas exception. Loin de changer la donne, la soi disant «vague verte» des élections fédérales de 2019 n’a pas empêché l’adoption d’une «Loi sur le CO2» effroyablement insuffisante, qui esquive complètement les impératifs climatiques et sociaux, et valide une fois de plus la suprématie des multinationales et de la finance.
Pour le changement de système, on repassera. Sauf que c’est bien l’emballement du climat mondial qui nous guette, un ouragan dévastateur, face auquel la pandémie et ses conséquences socio-économiques, pourtant déjà dramatiques, font figure de brise légère.
Sans tomber dans un rejet dogmatique de toute forme d’action «institutionnelle», le mouvement pour la justice climatique et sociale doit de toute urgence repenser son rapport aux outils de la démocratie suisse. De notre côté, nous restons convaincu·e·s du caractère vital des mobilisations populaires.
La démocratie (le pouvoir du peuple) ne saurait se limiter aux urnes de l’État. Développons-la partout – dans la rue, sur nos lieux de travail et de formation, dans les syndicats, dans les assemblées de quartier – et construisons partout où c’est possible une majorité en faveur d’une transformation écologique et sociale.